- HUMBOLDT (A. von)
- HUMBOLDT (A. von)Doté d’une vaste intelligence, d’une curiosité insatiable, d’une constitution physique «d’acier fin», le baron prussien Friedrich Heinrich Alexander von Humboldt est le type du savant complet. Au cours de sa longue vie, il a entretenu des relations avec les grands esprits scientifiques de son temps: Berthollet, Laplace, Gay-Lussac, Monge, Vauquelin, Arago, von Buch, Pictet, Volta, Galvani...Frère du philologue Wilhelm von Humboldt, il a fréquenté également les salons littéraires berlinois et français et fut l’ami de Goethe.Peu enclin à la métaphysique, il abandonne très tôt les théories vitalistes sur l’origine du monde animé, pour s’intéresser uniquement à l’étude des faits et de la matière, en suivant une seule méthode, qu’il nomme lui-même son empirisme raisonné.Fortement influencée par Maupertuis, Diderot, d’Alembert, Buffon et Condorcet, sa théorie de l’Univers est celle des encyclopédistes: conception unitaire du «Grand Tout», évoluant et se transformant dans l’histoire selon des lois que l’homme peut découvrir par un travail méthodique, croyance en l’origine commune de l’homme, foi au progrès, indifférence envers la religion.Un voyageur passionnéNaturaliste, voyageur, géographe et géologue, historien et homme politique, Alexander von Humboldt est né à Berlin. Descendant, par son père, de la noblesse prussienne de robe et d’épée et, par sa mère, d’une famille française huguenote, Humboldt a reçu une éducation très soignée. Après avoir suivi les cours des meilleurs précepteurs berlinois, il étudie à l’Université de Francfort-sur-l’Oder, puis à celle de Göttingen (1787-1789). En 1790, il fait son premier voyage en France, avec G. Forster, qui lui communique sa passion des sciences et des voyages et un penchant très vif pour les idéaux de 1789. Après un an d’études à l’académie de Commerce à Hambourg, il entre à l’académie des Mines de Freiberg (1791-1792) et devient ingénieur puis conseiller des Mines (1793-1794).À la mort de sa mère (1796), qui lui laisse une fortune considérable, il décide de réaliser ses projets de voyage, formés depuis longtemps. Après plusieurs échecs, avec son ami Bonpland il se rend en Espagne où il obtient du roi Charles IV l’autorisation de visiter les colonies espagnoles d’Amérique ; il débarque à Cumaná le 16 juillet 1799; après un bref séjour sur la côte vénézuélienne, Humboldt entreprend de remonter l’Orénoque, depuis San Fernando de Apure jusqu’au rio Negro (San Carlos). Par le rio Casiquiare, il rejoint l’Orénoque qu’il descend jusqu’à Angostura (Ciudad Bolivar): mars-juin 1800. Après un premier séjour à Cuba (décembre 1800 - mars 1801), il débarque à Cartagena de Indias (Colombie), remonte le rio Magdalena, se rend à Bogotá, puis traverse l’audiencia de Quito (Équateur actuel) et le Pérou jusqu’à Lima (mars 1801 - décembre 1802); au passage, il fait l’ascension de plusieurs volcans, dont le Chimborazo. De Lima, il rejoint par mer le Mexique, qu’il visite d’Acapulco à Vera Cruz, en passant par Taxco de Alarcón, Mexico... (mars 1802 - mars 1804). Après une escale à La Havane et un séjour de trois mois aux États-Unis, où il rencontre le président Thomas Jefferson (juin 1804), il arrive en Europe en août.Après un bref voyage en Italie (1805), où il fait l’ascension du Vésuve avec L. von Buch et Gay-Lussac, il se fixe à Paris, où il vivra de 1808 à 1827 et où il publiera la plus grande partie des relations de son voyage. En 1827, il revient à Berlin, appelé par Frédéric-Guillaume III de Prusse, qui lui confie la présidence d’une commission pour l’encouragement des savants et des artistes. En 1827-1828, il prononce à l’Université et à l’Académie de musique de Berlin ses célèbres conférences sur le cosmos. Tout en poursuivant ses travaux scientifiques, il entretient une abondante correspondance avec les savants du monde entier. En 1829, il visite la Russie, avec C. G. Ehrenberg et G. Rose, de Saint-Pétersbourg à la frontière chinoise.De 1830 à sa mort, Humboldt partage son temps entre la préparation de son œuvre maîtresse, le Cosmos , et des missions diplomatiques à Paris pour le compte de Frédéric-Guillaume III, puis pour Frédéric-Guillaume IV. Comblé d’honneurs et chargé d’ans, il meurt à Berlin sans descendance.Un Protée de la scienceL’œuvre scientifique de Humboldt est considérable. À partir de 1789, il publie une série de travaux sur la minéralogie, la chimie, la géologie, la botanique et la physiologie, qui vont de la note de quelques pages jusqu’aux traités plus fournis, comme le Florae Fribergensis Specimen (1793), les Expériences sur le galvanisme (1795-1797). Le voyage en Amérique a suscité le plus grand nombre de publications. Les Ansichten der Natur (Tableaux de la nature ), surtout consacrés à la description de paysages américains (1807-1808), servent d’introduction aux trente volumes de l’édition monumentale du Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent , fait en 1799 , 1800... 1804 , par A. de Humboldt et Aimé Bonpland (1807-1834). Les quinze premiers volumes de botanique, avec de nombreuses planches, sont de Bonpland et de K. S. Kunth, les quinze derniers sont de Humboldt. Cette édition étant peu maniable, Humboldt en a publié certains textes sous format plus réduit. Après son voyage en Russie, il publie Asie centrale. Recherches sur les chaînes de montagnes et la climatologie comparée (3 volumes, 1843); et, enfin, dans son Cosmos. Essai d’une description physique du monde , dont le dernier volume sera posthume, Humboldt présente un tableau d’ensemble de tout ce qui existe, au physique comme au moral; on y trouve tous les résultats de ses propres recherches et de ses voyages sur les trois continents et un bilan des acquis de la science de son temps.Itinéraire scientifique d’un génieLes travaux de Humboldt couvrent trois vastes domaines: les sciences de la Terre (géologie, géomorphographie, géophysique, géographie générale et régionale, climatologie, météorologie, astronomie, océanographie, phytogéographie), les sciences naturelles (botanique, physiologie, zoologie), les sciences de l’homme (anthropologie, archéologie, histoire et économie coloniales).Sciences de la terre et sciences naturellesL’étude des volcans des Canaries et de l’Amérique l’amène à rejeter le neptunisme comme cause unique de la genèse du globe. Dans son Essai géognostique sur le gisement des roches dans les deux hémisphères , tout en réaffirmant son admiration pour son maître de Freiberg, le neptunien A. G. Werner, il montre les relations entre le volcanisme et les structures terrestres; il fonde la théorie magmatique du volcanisme et, en nommant endogènes les roches éruptives et exogènes les roches sédimentaires, il crée deux concepts fondamentaux de la géologie dynamique. Tout en offrant la première image nette des formations géologiques du continent américain, il démontre les similitudes géologiques entre les Amériques, l’Europe et l’Asie: la structure de la croûte terrestre est formée d’une seule et même qualité de roches, qui, dans l’ensemble, sont disposées selon les mêmes couches. À ces recherches de géologie fondamentale se rattachent de nombreuses études sur les gisements métallifères d’Amérique et d’Europe.Humboldt est le pionnier de l’école géographique américaniste moderne; il décrit avec précision les grandes structures des deux Amériques: relief, orographie, superficies, etc. Son Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne , son étude du bassin de l’Orénoque et des llanos du Venezuela restent considérés comme des modèles d’études de géographie régionale. Humboldt a illustré ses travaux géographiques dans son Atlas du Nouveau Continent , où sont consignés les résultats de ses propres mesures de hauteur, de latitude et de longitude.En climatologie, Humboldt a insisté sur les conséquences du rapport entre mers ou courants et terres émergées. Il dégage le concept de microclimat (climats locaux, de versants, etc.). En 1817, il propose le système des lignes isothermes, isothères et isochimènes, selon le modèle de E. Halley. Il organise une chaîne de stations magnétiques et météorologiques en Asie septentrionale (1829), puis dans les colonies anglaises (1836), première tentative de coopération scientifique internationale.La contribution de Humboldt à la géophysique est importante: il établit la loi du décroissement des forces magnétiques du pôle à l’équateur, après avoir situé, pour la première fois dans l’histoire, l’équateur magnétique au Pérou, entre Micuipampa et Cajamarca (1802). Créateur de la géographie tridimensionnelle, Humboldt a apporté une contribution importante à la phytogéographie, en mettant en place les notions de formations végétales à l’échelle mondiale, de plantes sociales et d’association. Sa description des «étages de végétation» de l’Amérique tropicale est restée classique.Le courant froid de la côte du Pérou porte son nom (courant de Humboldt) en hommage à la découverte qu’il en a faite et à ses travaux sur les courants marins.Dans le domaine des sciences naturelles, Humboldt, en collaboration avec A. Bonpland, a rapporté d’Amérique 5 800 espèces de plantes, dont 3 600 étaient inconnues. Il a donné les informations les plus précises sur le curare. En zoologie, il a décrit de nouveaux animaux (anguille électrique, caïman, singes, guácharo ou Steatornis caripensis ); avec Provençal, il a fait les premières observations sur la respiration des poissons et, avec C. G. Ehrenberg, des études sur les infusoires d’Asie centrale; ses travaux sur le guano du Pérou ont éveillé l’intérêt des chimistes.Sciences humainesDans le domaine des sciences de l’homme, Humboldt touche à cinq secteurs: anthropologie, ethnologie et archéologie américaines; histoire et économie des colonies espagnoles d’Amérique. En décrivant l’Américain, il rectifie certaines erreurs de Buffon sur la faiblesse de l’Indien et son uniformité raciale. Il remarque au contraire une riche diversité de types, de couleurs et de langues. Il prouve l’origine asiatique des Américains en estimant leur apparition sur le Nouveau Continent à 20 000 ans environ, hypothèse confirmée aujourd’hui.Ethnologue, il étudie la vie économique, l’organisation sociale, les mœurs, les arts, les religions et les croyances des anciens Mexicains et Péruviens, ainsi que des tribus Chaymas et Caribes qu’il a pu voir sur l’Orénoque. Il décrit les monuments du Mexique et du Pérou; son étude comparée des cosmogonies des peuples d’Amérique et d’Asie reste valable aujourd’hui. Humboldt offre un tableau historique complet de la découverte, de la conquête et de la colonisation espagnole en Amérique, grâce à une connaissance approfondie de l’historiographie espagnole classique. Il étudie le nombre, la densité, la répartition locale, les conflits, les mœurs, les aspirations des diverses classes et races en présence en Amérique: Blancs, Indiens, métis, Noirs, mulâtres, Espagnols, créoles...Les problèmes de l’esclavage, qu’il condamne, sont traités à fond dans son Essai politique sur l’île de Cuba , où l’on trouve un exemple parfait d’étude démographique et sociologique. Enfin, Humboldt dresse un tableau complet de l’économie hispano-américaine, en remarquant que l’Espagne a perdu le contrôle du commerce avec ses colonies; ses études sur l’état et les perspectives de l’agriculture coloniale sont plus que jamais une précieuse référence.
Encyclopédie Universelle. 2012.